Présentation d’oeuvres – Les Aventures du Roi Pausole

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Lorsque Arthur Honegger surprit le monde musical avec une authentique opérette, il lui

donna peut-être le plus bel exemple de l’exceptionnelle diversité de son imagination créatrice. On le tenait, soit pour un austère compositeur d’oratorios dans la tradition protestante, soit pour le rude sportif ou le chantre de la machine, soit encore pour le rénovateur des grandes formes instrumentales de la musique pure : quelques semaines seulement après la création des Aventures du Roi Pausole, Serge Koussewitzky assurerait la création de sa Première Symphonie. Et pourtant, certaines œuvres d’une veine plus légère et plus divertissante – que l’on pense aux Poésies de Jean Cocteau, au Concertino pour Piano, à telle Sonatine – auraient dû mettre la puce à l’oreille de ses admirateurs. Par un long et dur apprentissage, le compositeur s’était forgé un métier impeccable, afin de dominer avec une égale facilité tous les genres musicaux, et sa simplicité directe, dénuée de tout snobisme et de toute prétention, ne connaissait pas de genres ‘inférieurs’: une bonne opérette lui paraissait plus importante qu’un opéra manqué.

Les Aventures du Roi Pausole virent le jour au milieu de travaux beaucoup plus ‘sérieux’. Commencée en 1929, l’opérette fut terminée le 18 novembre 1930, et durant ce laps de temps Honegger composa entre autres Amphion, le Concerto pour Violoncelle et la Première Symphonie. Avec ses quelques 75 minutes de musique (textes parlés non compris), la partition de Pausole est même paradoxalement la plus longue qu’il ait écrite !

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Il l’a écrite manifestement avec un vif plaisir, et a dû beaucoup s’amuser en y travaillant : un livret étincelant d ‘esprit de son ami Albert Willemetz a dû l’y aider. Peu après l’achèvement de la partition, les répétitions commencèrent, et la création, qui eut lieu le 12 décembre 1930 au Théâtre des Bouffes-Parisiens sous la direction du compositeur lui-même, fut le plus grand succès populaire de toute sa carrière : encore avant la fin de l’année, il en dirigea quelques extraits pour des disques (chose encore relativement rare à l’époque), et la pièce connut plus de quatre cents représentations à Paris et autant en province. Il faut rappeler que le plateau de la première était particulièrement brillant, avec Dorville (Pausole), Koval (Taxis), Jacqueline Francell (Aline), Pasquali (Giglio), Meg Lemonnier (Mirabelle), Blanche (le Métayer), Germaine Duclos (Diane), Claude de Sivry (Dame Perchuque), Régine Paris (Thierrette), et même Paulette Dubost et Edwige Feuillère dans des rôles secondaires !

Albert Willemetz écrivit son merveilleux livret d’après le roman du même nom bien connu de Pierre Louÿs – ami intime de Claude Debussy, qui mit en musique ses Chansons de Bilitis -, qui ressuscite l’exquis libertinage du XVIIIème siècle galant de l’ambiance 1900. A sa manière légère et sans prétention, c’est une œuvre ‘engagée’, dont l’idéal de ‘vivre et laisser vivre’ ne pouvait qu’entraîner l’adhésion d’Honegger. La loi fondamentale joyeusement anarchiste de l’heureux Royaume de Tryphème, ne jamais nuire à son voisin, mais à part cela, faire tout ce que l’on veut, représente un idéal de vie vraiment enviable !…

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Pour sa musique, Honegger reconnaît trois modèles : Mozart, Chabrier et Messager, et il s’en montre digne en tous points : sa partition est écrite avec un soin et une élégance insurpassables, elle est un rare régal pour le connaisseur, mais aussi un plaisir total pour le public le plus vaste. Avec son petit orchestre de théâtre d’une trentaine de musiciens, Honegger réussit des miracles d’imagination, et chacun des vingt-huit ‘numéros’ (vingt-neuf en comptant l’Ouverture), est écrit pour un effectif différent. Le saxophone, que le compositeur aimait beaucoup, s’y taille une place de choix. Le style, typique de 1930 – avec ses clins d’œil malicieux au Jazz -, mais plein de spirituelles allusions au style 1900, est aujourd’hui intemporel, d’une permanente jeunesse.

Extrait du texte de Harry Halbreich pour le coffret ‘Les Aventures du Roi Pausole’
MGB Musiques Suisses CD 6115

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Production de l’Opéra de Fribourg,

Dir. musicale : Laurent Gendre, mise en scène : Vincent Vittoz

Décembre-janvier-février 2003-2004

Le Roi Pausole en Suisse et à Besançon

SURVOL D’UNE CONVERSATION ENTRE LAURENT GENDRE,
CHEF D’ORCHESTRE ET VINCENT VITTOZ, METTEUR EN SCENE

V.V. : Laurent Gendre, quelle drôle d’idée ces Aventures du roi Pausole !

L.G. : C’est une oeuvre que je connaissais de réputation, j’avais eu des échos d’une production à Lausanne en 1990. J’ai écouté la musique et tout de suite j’ai été sous le charme parce que c’est une musique qui réunit une extrême légèreté à une richesse de composition beaucoup plus grande que ce que l’on trouve dans les opérettes habituellement, autant dans l’orchestration que dans l’harmonie et les formes des morceaux.

V.V. : C’est aussi la raison pour laquelle j’ai été heureux d’en faire la mise en scène. Je trouvais la réunion d’Honegger, de Willemetz et de Pierre Louÿs assez étonnante. Willemetz avait plus l’habitude de travailler pour des Christiné, des Maurice Yvain ou des revues et je trouvais intéressant de l’associer à Honegger qui venait d’un monde tellement différent.
Bien sûr, pour moi la musique est importante, mais ce qui est important surtout c’est le livret, c’est les personnages, c’est la profondeur de tout ça. J’étais assez excité de voir comment on pouvait réunir ces trois univers et je trouve que l’ouvrage est très représentatif des trois univers. Ce que je trouve intéressant, c’est de magnifier chaque univers: qu’on reconnaisse du Willemetz, qu’on reconnaisse où est Pierre Louÿs et aussi qu’Honegger ne soit pas enfoui sous cette truculence là, truculence érotique, truculence du texte parce que l’on est pas dans une opérette bouffe, on n’est pas dans un opéra bouffe, pas du tout.

L.G. : Il y a des choses très profondes qui affleurent, il y a des thêmes qui vont beaucoup plus loin que l’apparence donnée par l’action. Comme chez Chabrier ou d’autres compositeurs, il y a une sorte d’aura qui englobe et le librettiste et le musicien dégageant un tout qui va plus loin que la contribution de chacun, une sorte de magie apparait.

V.V. : La musique d’Honegger n’a pas le côté spectaculaire que pouvait avoir un Messager qui te troussait un final enlevé, Honegger n’est pas entré là-dedans, on reste dans une demi-teinte qui est pour moi abolument passionnante à mettre en scène. Il ne faut pas monter cela comme on monterait un Offenbach, ou un même un Chabrier dont la musique est beaucoup plus truculente.
Les personnages sont beaucoup plus profonds qu’on ne s’en était rendu compte à la première lecture, il y a vraiment des blessures. Et dans la musique d’Honegger ce n’est pas aussi positif tout le temps qu’un Chabrier, qu’un Offenbach ou même qu’un Messager.

L.G. : C’est vrai que Chabrier a choisi, lui aussi, de mettre en musique des moments plus intimes, intérieurs, c’est peut-être une particularité des compositeurs du XXe siècle. Quand Honegger écrit une marche du Roi Pausole, il y a toujours une sorte de clin d’oeil, d’harmonie qui fait qu’on n’est plus totalement dans le genre marche, ce qui rend la chose encore plus délicieuse.
Il y a une énorme cohérence dans l’alternance dialogues-musique et le fait que cette pièce est entièrement écrite en alexandrins du début à la fin donne aux personnages un sorte de côté très charnel qui est impressionnant.

V.V. : Oui, parce qu’il y a une notion de plaisir, le plaisir du beau langage, de la forme, littéraire, musicale. Et en plus la notion du plaisir perdu, pour Pausole par exemple, à qui tous essaient de faire retrouver un certain plaisir par le voyage.
Chez Willemetz comme chez Honegger il y eu certainement aussi le plaisir d’un travail inhabituel, différent du travail évident de Willemetz avec Yvain ou Christiné ou, pour Honegger, du travail avec Morax ou Claudel! Mais il ne faut pas oublier Pierre Louÿs, son univers est là aussi et a été parfaitement adapté par Willemetz. Ce que je ressens c’est une quête de plaisir qui doit donner ce même plaisir aux spectateurs.

L.G. : Quelles sont pour toi les difficultés de cette mise en scène?

V.V. : Un chat n’est vraiment jamais appelé un chat dans cet ouvrage, on parle d’amour, de sexe, de nudité, de sensualité mais ça n’est jamais vraiment dit. Pierre Louÿs est moins allusif que Willemetz, Honegger l’est autrement mais il y a fusion entre eux et c’est cette fusion qu’il ne faut pas trahir. Sur scène on est bien obligé de montrer mais tout en gardant le côté allusif. Le challenge c’est d’aller au plus près de la narration, au plus près des personnages, que chaque personnage fontionne bien et que l’alchimie prenne, comme une mayonnaise.
C’est pour cela que je suis parti du mental de Pausole, comme si tout se passait dans un lieu unique: l’esprit de Pausole. Au début, c’est l’immobilisme de Pausole, ce côté un peu dépressif du personnage dans un univers qui ne l’est absolument pas. Il faut trouver l’esprit, cet esprit bien français avec en plus l’apport d’Honegger qui voit ça de son côté un peu plus protestant et qui s’encanaille un peu, c’est très sympathique.
Une question: où retrouves-tu dans cette musique l’Honegger connu, celui de Jeanne au bûcher, Pacific 231 ?

L.G. : A la première écoute, je n’ai pas vraiment retrouvé Honegger et puis, plus ça va, plus le temps passe et plus je retrouve Honegger à chaque mesure, même dans les airs, par exemple les airs d’Aline, par l’harmonie, la manière de traiter la voix, il est évident que c’est le même compositeur.
C’est intéressant de voir qu’il a écrit des airs ou certains duos qui sont des choses très intimes où l’émotion surgit avec une tout autre approche que les scènes de Pausole, les marches, la ritournelle de la Mule par exemple qui offrent un pont de vue un peu narquois sur les personnages.
L’idée de voir Pausole rêvant ses aventures m’intéresse car elle me paraît présente dans l’oeuvre: toutes ces choses qui se passent sont enchaînées les unes aux autres de manière asez onirique. Mais je crois que je retrouve Honegger à chaque mesure, finalement!

V.V. : Il y a beaucoup d’amour pour les personnages et je pense qu’Honegger y est pour beaucoup. Chez Offenbach et Chabrier il y a un regard plus critique sur la nature humaine, une espèce de caricature qui fait penser à un fusain de Daumier. Les personnages, même Taxis, restent toujours très humains; Pausole est un homme profondément bon: Taxis, c’est plutôt une pierre dans sa chaussure, il le juge comme quelqu’un qui l’empêche de tourner en rond.
Je trouve que la musique d’Honegger amène énormément d’humanité à tous ces personnages. Il y a là un regard plus humaniste et ça, je dois dire que ça m’a bien plu. Voilà!

L.G. : L’époque de la composition a aussi certainement joué un rôle puisque
la France de 1930 n’est pas celle d’Offenbach.

V.V. : On était au lendemain d’une période complètement faste, gaie, on ne pensait qu’à s’amuser; dans les années 30 ça commence à devenir plus sombre et on a un regard moins tonique mais plus fin, plus sensible sur le monde.
C’est ce que je ressens dans cet ouvrage.

Production de l’Opéra Comique (Paris),

Dir. musicale : Sébastien Rouland, mise en scène : Mireille Laroche

23-31 janvier 2004 et 8-9 mai 2004 à Toulon

MIREILLE LAROCHE PARLE DES
« AVENTURES DU ROI PAUSOLE »
(lundi 19 janvier 2004)

Les Aventures du Roi Pausole qui n’a pas été monté à Paris depuis les années 50 est un ouvrage exceptionnel, j’en suis convaincue. Depuis Messager et Chabrier, le genre « opérette » avait un peu pâli et le Roi Pausole redonne du sens à ce qu’on pourrait appeler l’opérette moderne ; ton insolent, provocant, intellectuellement et politiquement brillant… un ton typiquement français.
L’opérette a d’ailleurs été souvent lié à la politique (Offenbach et même Hervé), mais avec Pierre Louys, c’est évidemment un autre niveau intellectuel dans la tradition d’un érotisme libertaire et anarchisant qui peut devenir un outil politique.
Choisir de traiter des sujets sérieux : le Pouvoir, la Liberté, la République, le Bonheur en faisant rire et par le truchement d’alexandrins qui frôlent le « vers de mirliton » est en soi une provocation. En quoi, Pausole est le petit frère d’Ubu de Jarry.
C’est Albert Willemetz qui a souhaité collaboré avec Honegger et c’était déjà un pari que de donner ce texte à un compositeur de musique dite savante : pari réussi.
Honegger, avec une science infinie, s’amuse à parodier aussi bien le can-can, le rag-time, que l’Ecole de Vienne (Schoenberg dans l’Air de Diane, une merveille !), mais c’est sa musique, son style et sa couleur qui demeurent.

En ce qui concerne ma mise en scène, je considère que c’est une grande chance que le sujet de l’œuvre, comme la partition jouent de la modernité. Le lieu de l’action est imaginaire et je n’ai pas voulu appauvrir la dimension utopique de cet univers moderne et contemporain qui devait être maintenu. D’autre part, quand j’ai entendu citer le nom de Le Corbusier comme décorateur lié au projet de film de 1932, j’ai été conforté dans l’idée de faire appel à Daniel Buren pour les décors. Il a imaginé une « boite à jeux » qui est à la fois ludique et contraignante (comme dans tous les jeux, il y a une règle du jeu) et très proche de cette cité utopique ou « tout est permis » mais ou la première règle est « fais ce qu’il te plait », la seconde « continues à faire ce qu’il te plait mais à partir du moment ou tu ne nuis à personne « , ces préceptes ne s’appliquant qu’à ceux qui sont beaux, pas au laids, au peuple, mais non à la famille du Roi etc…
Il y a aussi des formules qui sonnent fort aujourd’hui comme la déclaration du Roi sur « l’amour gratuit, laïque et obligatoire », comme aussi cette contradiction qui consiste à « imposer » la liberté d’une façon quasi totalitaire.
C’est vraiment un ouvrage passionnant par son esthétique et par son sujet.