Arthur Honegger. Lettres à ses parents (1914-1922)
Avant-propos
Arthur Honegger fut un épistolier prolifique et régulier, et sa très abondante correspondance, en grande partie préservée, demeure la source la plus essentielle pour l’établissement de sa biographie, vie et œuvre. En fait il appartient à l’une des dernières générations pour lesquelles cette source existe encore. Tout d’abord le téléphone a de plus en plus remplacé la lettre, voire – à Paris, tout au moins – le «pneumatique». Par chance, Honegger n’aimait pas le téléphone, s’en servait peu, y répondait moins encore. Plus récemment vinrent le fax et aujourd’hui l’e-mail. Les biographes du futur, en abordant nos contemporains, se verront de plus en plus privés de la source d’information inestimable que représente une vraie correspondance.
Celle d’Arthur Honegger, volumineuse et variée, s’adresse à un grand nombre de personnes: famille, amis personnels, artistes et collègues de diverses disciplines (dont plusieurs furent de grands amis eux aussi), éditeurs, organisateurs de concerts ou directeurs de théâtres, etc. Mais il se dégage de cette masse deux «blocs» d’une importance particulière. D’une part, voici les 130 lettres adressées par Honegger à ses parents durant les années 1914 à 1922, date de leur disparition prématurée : elles font l’objet de la présente publication. D’autre part, dès 1931, mais de façon régulière et continue à partir de 1936 seulement, et ne s’arrêtant qu’en 1954, un an avant la mort du compositeur, nous avons toutes les lettres adressées à Paul (et parfois Maja) Sacher, plus nombreuses encore et dont les réponses par chance existent également. Essentielles pour la dernière époque de sa vie et pour la genèse de ses œuvres de haute maturité à partir de Jeanne d’Arc au bûcher, elles feront l’objet d’une publication ultérieure. Pour les quelque douze années intermédiaires (1923-1935), nous sommes du coup moins bien documentés. Certes, les agendas du compositeur, en grande partie préservés, les articles de sa plume et surtout les interviews de plus en plus fréquentes qu’il accorda, les lettres de son épouse Andrée Vaurabourg, celles qu’il adressa à Werner Reinhart, son premier grand mécène et protecteur avant l’arrivée de Paul Sacher, enfin les témoignages de plus en plus fournis de ses premiers biographes (André George, Willy Tappolet, José Bruyr et Marcel Delannoy), prennent alors abondamment le relais, mais avec moins de régularité.
Note importante : Dans ses premières années (surtout 1914-1916), la correspondance comporte toute une série d’informations sur les nombreux amis de ses parents demeurés au Havre et dont la plupart, étrangers au milieu intellectuel ou artistique, ne sont plus pour nous que des noms. La majeure partie d’entre eux n’a pu être identifiée de manière précise. A partir de 1917, Honegger ne s’est que rarement rendu au Havre, et c’est alors que les informations sur sa propre carrière occupent graduellement la place la plus importante. Du point de vue de la succession chronologique, ces lettres sont datées pour la plupart par le compositeur lui-même ou sinon par des annotations de sa mère, destinataire de plus en plus fréquente, indiquant la date de réception, souvent assez tardive vu les aléas, censure et autres, de la première guerre mondiale. D’autres ont pu être situées grâce aux événements, presque toujours liés à la vie artistique, auxquels elles font allusion. Si certaines ne peuvent être datées au jour près, du moins leur ordre ne fait-il pas de doute. On constatera des lacunes dans le temps, parfois assez longues : elles ne sont pas dues à des pertes, mais presque toujours à des périodes que le compositeur a passées en Suisse auprès de ses parents, auxquels il n’avait donc pas besoin d’écrire. Mais pour le lecteur, un récit suivi est indispensable, et c’est la raison d’être de nos textes de liaison entre deux lettres ne se succédant pas de près. Ainsi, cette correspondance s’insère dans un récit suivi, que nous avons voulu aussi concis que possible.
Chaque lettre est accompagnée de notes, plus ou moins nombreuses ou développées selon les cas, donnant des précisions sur les personnes et les événements cités. Les indications d’ordre biographique apparaissent toujours à la première mention de la personne concernée, avec un renvoi approprié lors de leurs apparitions suivantes. Les notes font l’objet d’une numérotation séparée pour chaque lettre et sont soit dans la marge à la hauteur de leur appel soit à la fin de chacune d’elles. Les lettres elles-mêmes sont numérotées de 1 à 130 et en chiffres gras. Ainsi 96 renvoie à la note 6 de la lettre 9.
En fin de volume, on trouvera un tableau chronologique des œuvres composées par Honegger durant la période couverte par cette correspondance, mais précédées des rares œuvres antérieures. Au total ce tableau contient les numéros 1 à 42 du catalogue (précédés de la lettre H pour Honegger… ou Halbreich) tel qu’il figure dans mes ouvrages publiés chez Fayard (1992) et chez Champion-Slatkine (1994). En outre, pour rendre le travail que voici de consultation rapide et pratique, il est suivi d’un index des noms propres cités et d’un index alphabétique des œuvres citées (celles d’Arthur Honegger seulement).
Cette publication enrichit notre connaissance de l’homme et de l’artiste d’une contribution essentielle, et même indispensable pour ses années d’études et toutes ses premières œuvres. Si elle ne couvre pas ses premières années d’apprentissage au Conservatoire de Paris, du moins commence-t-elle à l’époque où sa vocation de compositeur l’emporte définitivement sur celle de violoniste. La très importante lettre 17 du 28 avril 1915 marque à cet égard le tournant décisif. D’autre part, elle s’arrête peu après le triomphe du Roi David, étape non moins décisive dans sa carrière rapidement ascendante, pour englober encore une partition plus ardue, certes, comme en témoigne sa carrière difficile, mais tout aussi importante : Horace Victorieux.
La lacune la plus frappante et la plus inexplicable concerne la fondation du Groupe des Six en janvier 1920, à laquelle il n’est fait aucune allusion dans la lettre 76 qui normalement devrait en parler. Il y a là un vrai mystère, alors que le jeune compositeur informe toujours les siens des détails également plaisants et pittoresques, de sa carrière…
Plus des deux tiers de ces lettres (89 sur 130) sont adressées à ses deux parents, du moins jusqu’à la fin de 1920. Mais Honegger leur a toujours écrit individuellement à l’occasion de leurs anniversaires respectifs. Par contre, dès le début de la maladie qui devait emporter sa mère, soit à partir de janvier 1921, les missives s’adressèrent le plus souvent à elle seule (25 contre 11 aux deux parents). Après sa disparition, on ne trouve plus que deux lettres à son père : pendant les quelques mois durant lesquels il survécut, le compositeur se trouva fréquemment auprès de lui.
Voici comment se répartissent ces 130 lettres (nous avons regroupé sous un seul numéro, le 84, la très amusante séquence des 16 cartes postales de juillet 1920 décrivant dans le détail l’aventureux voyage en «auto» de Paris à Thonon-les-Bains, sa mère les avait déjà numérotées de I à XVI) :
1914 lettres 1-8 (8)
1915 lettres 9-24 (16)
1916 lettres 25-39 (15)
1917 lettres 40-52 (13)
1918 lettres 53-63 (11)
1919 lettres 64-75 (12)
1920 lettres 76-88 (13)
1921 lettres 89-124 (36)
1922 lettres 125-130 (6)
On sera frappé par la très grande régularité du nombre de lettres pour chaque année, sauf pour 1921, où la maladie de la mère explique leur soudain accroissement (du simple au triple), lequel reflète la genèse haletante du Roi David, alors que la quantité de lettres adressées aux deux parents demeure stable.
Madère, septembre 2003, Harry Halbreich