Les Aventures du Roi Pausole, 12-14-16-19-22-27-29-31 décembre 2012, 19h30, Grand Théâtre, Genève, Suisse
Extrait de la biographie de Jacques Tchamkerten, Arthur Honegger, à propos de la composition des Aventures du Roi Pausole.
» Ayant terminé Amphion, Honegger met en chantier un Concerto pour violoncelle et orchestre à l’intention du violoncelliste Maurice Maréchal, qui renoue avec l’inspiration légère du Concertino pour piano. C’est également cette veine que notre musicien va exploiter avec une opérette dont il esquisse les premières mesures en mai 1929. Marcel Delannoy a révélé1 que ce sont en partie des considérations financières qui incitent Honegger à répondre positivement aux sollicitations du librettiste et directeur de théâtre Albert Willemetz (1887-1964) ainsi que de l’éditeur Francis Salabert, de mettre en musique Les Aventures du Roi Pausole, le célèbre et licencieux roman de Pierre Louÿs. Les deux hommes tentent là un pari audacieux qui s’explique sans doute par la fulgurante célébrité atteinte par le compositeur. Il n’est pour s’en convaincre que de consulter la presse de l’époque regorgeant d’interviews et d’avant-premières qui annoncent la stupéfiante nouvelle : l’auteur du Roi David et de Pacific va se mesurer avec l’opérette ! Le genre, plus périlleux qu’il n’y paraît, est alors l’apanage de musiciens spécialisés. A cette époque, il se partage en deux tendances : l’une, représentée par Henri Christiné, Joseph Szulc, Maurice Yvain, Raoul Moretti, intègre les rythmes de la comédie musicale américaine et du jazz ; l’autre, plus délicate, plus subtile et héritière du vieil opéra-comique est incarnée par André Messager, Reynaldo Hahn et le trop oublié Louis Beydts. Plusieurs musiciens « sérieux » de l’époque tenteront de se mesurer à l’opérette. Or, si Gabriel Pierné écrit un véritable chef-d’œuvre avec Fragonard (1934), Le Rêve de Cyniras (1927) de Vincent d’Indy, Léontine sœurs (1925) d’Antoine Mariotte, ou Le Testament de Tante Caroline (1932) d’Albert Roussel ne constituent, malgré leurs indéniables qualités, que des demi-réussites, leurs partitions manquant presque toujours d’envolée. Les camarades d’Arthur n’auront d’ailleurs guère été plus chanceux : Jean Wiéner avec Olive chez les Nègres (1925) et Georges Auric avec Sans façons (1929) récoltent des « bides » sans appel ! Qui pourrait donc assurer que l’auteur d’Horace victorieux, de Judith et d’Antigone réussira avec un ouvrage situé aux antipodes de ceux qui lui ont acquis sa réputation ?
Adaptant le roman avec son incomparable habileté, Albert Willemetz réalise un livret dans lequel, sans gommer le ton libertin, il parvient merveilleusement à allier charme et humour. Honegger n’est pas en reste. Révélant un don mélodique savoureux, il se place dans le sillage de Messager, et n’hésite pas (à l’instar de son modèle), à glisser de subtiles allusions au jazz. Remarquablement construit, l’ouvrage enchaîne, sans temps morts, airs et ensembles avec les piquants dialogues de Willemetz. La création des Aventures du Roi Pausole, le 12 décembre 1930 au Théâtre des Bouffes Parisiens, remporte un véritable triomphe. Bénéficiant d’une distribution hors pair avec des vedettes telles que Jacqueline Francell, Meg Lemonnier, Dorville, René Koval, l’œuvre obtient un succès qui la mènera au-delà de la 400e représentation. Parmi les vingt-huit morceaux de la partition (dont certains sont immédiatement enregistrés sur disque), on remarquera un inénarrable Hymne National de Tryphème, royaume du bon Pausole, qui se révèle un véritable credo des convictions éthiques du compositeur :
A ton voisin, il ne faut jamais nuire,
A ton voisin, jamais tu ne nuiras,
Mis à par ça fais c’que tu désires,
Mais à part ça fais tout ce que tu voudras !
On a plein l’dos d’avoir tout l’temps des guerres,
Depuis Clovis, depuis Hugues Capet
Pour être heureux nous ne demandons guère :
Nous demandons qu’on nous foute la paix !
Il faut rappeler que l’époque était au pacifisme et plaçait tous ses espoirs dans la jeune Société des Nations ainsi que dans le pacte Briand-Kelogg (1928) censé mettre la guerre hors la loi… On notera que la veine « légère » d’Honegger est sans doute l’aspect le moins étudié de son œuvre. Il y aurait pourtant beaucoup à dire de ses opérettes et de ses quelque trente chansons (tirées pour la plupart de musiques de film) interprétées alors par des artistes telles que Marianne Oswald, Agnes Capri, Lys Gauty ou Damia. »
Tchamkerten Jacques, Arthur Honegger, Editions Papillon, 2005, pp. 110-113.
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1 Delannoy Marcel, Honegger, Pierre Horay, Paris, 1953, p. 136. Rééd. Slatkine, Genève, 1986.
Images en annexe :
Envoi autographe à Aloys Mooser figurant dans un exemplaire de la partition des Aventures du Roi Pausole, conservé à la Bibliothèque du Conservatoire de Musique de Genève.
Couverture de l’édition originale de la partition chant-piano des Aventures du Roi Pausole. © Editions Salabert – BMG.