Quelques contemporains

Georges Auric (1899-1983)

Enfant prodige, il écrivit dès 14 ans un article sur la musique de Satie et, selon la légende, quand Satie se présenta au domicile de son critique pour demander à parler à M. Georges Auric, il fut reçu par un gamin en culottes courtes qui lui répondit : « M. Auric, c’est moi ». Pourtant, le compositeur n’eut pas la carrière attendue ; il s’illustra surtout dans les ballets musiques de scène, et musiques de films, notamment pour Cocteau : Le Sang d’un poète, La Belle et la Bête, Orphée. Après la seconde guerre mondiale, il fut un temps directeur de l’Opéra de Paris, et président de la SACEM.

Jane Bathori (1877-1970)

Cantatrice, elle prit la direction du Théâtre du Vieux-Colombier lorsque Copeau partit pour les Etats-Unis en 1917. Elle y organisa de multiples concerts et y chanta un grand nombre de mélodies.

Paul Claudel (1868-1955)

Diplomate, poète et dramaturge français, Claudel accordait une grande place à la musique. Wagnérien dans sa jeunesse, rêvant, à l’instar des symbolistes français, à un renouvellement des formes de rencontre entre la musique et le texte, il rencontra Darius Milhaud en 1912, alors que son théâtre accédait pour la première fois à la scène. Ainsi naquirent différentes œuvres de collaboration, dont L’Orestie (Agamemnon, Les Choéphores, Les Euménides) (1912-1924), les musiques de scène de Protée (1913-1919), le ballet L’Homme et son désir (1917), l’opéra Christophe Colomb (1927-1928), l’oratorio dramatique La Sagesse (1934-1935), ainsi que des musiques de scène, des mélodies ou des cantates pour chœur. La rencontre avec Honegger et le succès de Jeanne d’Arc au bûcher allait désormais faire du compositeur suisse le collaborateur préféré du dramaturge ; outre La Danse des morts (1938), Honegger allait composer la musique de scène du Soulier de satin (1943), la musique de radio de Tête d’or (1947), puis celle du documentaire Paul Claudel (1951). Un dernier projet de collaboration, La Cantate de Pâques, allait rester inabouti, suite à la maladie du compositeur.

Jean Cocteau (1889-1963)

Ecrivain français aux dons multiples, Jean Cocteau s’intéressa rapidement à la musique, connaissant Debussy et Satie. Il contribua à former le Groupe des Six. De nombreux poèmes furent mis en musique par le Groupe ; outre Les Mariés de la tour Eiffel, il écrivit le livret du Pauvre Matelot pour Milhaud, et sa pièce Antigone fut transformée en opéra par Honegger, tandis que La Voix humaine fut également appropriée par Poulenc. Il collabora également avec Igor Stravinski pour Oedipus rex et fut un inoubliable récitant de L’Histoire du soldat.

Claire Croiza (1882-1946)

Cantatrice française, elle commence sa carrière à l’opéra de Nancy en 1905 avant de chanter de 1906 à 1913 à la Monnaie de Bruxelles, interprétant Dalila, Didon dans Les Troyens, Erda, Pénélope, etc. Elle se produit également à Paris et devient l’une des grandes interprètes de la mélodie française : en 1915, elle crée le Jardin clos de Fauré et, en 1924, Le Miroir de Jésus d’André Caplet. Interprète de Pâques à New-York d’Honegger et de la Chanson de Ronsard en 1924, des liens étroits se développent entre elle et le compositeur qui lui dédie Judith. A partir de la fin des années vingt, Claire Croiza se produit essentiellement comme récitante et le disque nous laisse le témoignage de son interprétation historique des Choéphores de Milhaud sous la direction de Louis de Vocht. Elle sera également une excellente pédagogue, ayant pour élèves Janine Micheau, Jacques Jansen, Camille Maurane, Gérard Souzay, Yoshiko Furusawa et Betty Bannerman.

Louis Durey (1888-1979)

L’aîné des Six préféra se retirer de la vie parisienne pour vivre à Saint-Tropez. Marqué par Ravel au point qu’il se désolidarisa du Groupe à cause d’une attaque contre le compositeur, il continua de composer des œuvres qui eurent peu de retentissement à Paris. Sa musique prit un tour engagé à partir de 1936 : il adhéra au parti communiste et composa, après guerre, de nombreux ouvrages liés aux circonstances politiques et historiques.

André Gédalge (1856-1926)

Compositeur et, surtout, excellent pédagogue qui marqua plusieurs générations de musiciens. Professeur de fugue et de contrepoint depuis 1905, auteur d’un Traité de la fugue, il eut comme élève Maurice Ravel, Florent Schmitt, Charles Kœchlin, Georges Enesco, Jacques Ibert, Darius Milhaud…

Jacques Ibert (1890-1962)

Compositeur français, lauréat du Prix de Rome en 1919, et connu comme directeur de la villa Médicis de 1936 à 1961. Son style, typiquement français par sa grande clarté d’écriture et une certaine légèreté, en fait un représentant de cet art néoclassique de la France de l’entre-deux-guerres. Il aborda presque tous les genres, notamment l’opéra : L’Aiglon (1937) et l’opérette : Les Petites Cardinal (1938) en collaboration avec Honegger. L’amitié entre les deux hommes était telle que Jacques Ibert eut un malaise cardiaque en apprenant la mort de son ami.

Serge Koussevitzky (1874-1951)

D’origine russe, Serge Koussevitzky s’exila au moment de la Révolution de 1917 et s’installa aux Etats-Unis où il devint le chef du prestigieux Orchestre symphonique de Boston (1924-1949), le plus français des orchestres américains. Il eut un rôle de mécène particulièrement important, commandant des œuvres à Roussel, Honegger, Milhaud, Martinu, etc.

Darius Milhaud (1892-1974)

« Français de Provence et de religion israélite », Darius Milhaud est un des compositeurs les plus prolixes de ce siècle avec plus de 400 œuvres à son catalogue. Né à Marseille, il affirma une personnalité musicale originale, précoce et forte. Dès 1910, il commence son opéra La Brebis égarée sur un texte de Jammes et, en 1912, il rencontre Paul Claudel qui lui confie la musique de L’Orestie d’Eschyle qu’il vient de traduire. En 1917, le compositeur compose la musique du second volet, Les Choéphores, partition stupéfiante avec ses recherches de polytonalité et ses chœurs parlés soutenus par les percussions. En 1917 il part comme secrétaire de Claudel, Ministre plénipotentiaire, au Brésil ; il en revient en 1919, devenant ensuite membre du Groupe des Six où il est admiré par tous. Pourtant sa musique a dû mal à être admise par le public et la critique. La Seconde Suite symphonique de Protée, sous la baguette de Gabriel Pierné, fait scandale en 1920, et même des œuvres comme Le Bœuf sur le toit (1919) ou le ballet La Création du monde (1923) ne sont pas reçues sans difficulté. Son catalogue ne cesse cependant de s’étendre, malgré sa mauvaise santé avec des opéras, dont Christophe Colomb (1928) sur un texte de Claudel, créé à Berlin en 1930, Maximilien (1930), Bolivar (1943), David (1952), des Symphonies pour petits orchestre, des Symphonies pour grand orchestre (12 de 1939 à 1962), des Suites orchestrales, des Concertos, de la musique de chambre avec notamment l’ensemble impressionnant des 18 Quatuors, etc. En 1940, le compositeur s’exile aux Etats-Unis ; il revient en France en 1947, partageant dès lors son temps et ses cours entre la France et les Etats-Unis. Son langage, qui peut prendre des formes très diverses, se caractérise surtout par l’emploi de la polytonalité.

René Morax (1873-1963)

Poète et dramaturge vaudois, il créa en 1903 le Théâtre du Jorat – frère du théâtre populaire de Maurice Pottecher en France – perdu dans la campagne, à une dizaine de kilomètre de Lausanne. Il y organisa de multiples spectacles dont il était souvent l’auteur et fit régulièrement appel à Honegger : Le Roi David, Judith, mais aussi La Belle de Moudon ou Charles le Téméraire.

Charles Münch (1891-1968)

Chef d’orchestre français, il dirigea l’Orchestre des Concerts du Conservatoire avant de prendre la succession de Koussevitzky à l’Orchestre symphonique de Boston (1949-1961). Ce fut un ami d’Honegger et il contribua beaucoup à faire connaître les œuvres du musicien. On lui doit de précieux enregistrements de La Danse des morts, de la Seconde Symphonie, etc. Caractérisé par son enthousiasme, il était capable de donner le meilleur des orchestres lors des concerts, sachant électriser les musiciens et les spectateurs.

Francis Poulenc (1899-1963)

Troisième grand compositeur des Six, Poulenc fut d’abord un compositeur instinctif, avant de parfaire sa formation sous la direction de Charles Kœchlin. Dans le domaine orchestral, il composa des concertos et des ballets. Il s’illustra aussi dans l’opéra à travers trois œuvres bien différentes qui ont toujours eu du succès à la scène : Les Mamelles de Tirésias, Le Dialogue des Carmélites et La Voix humaine. Poulenc fut aussi un grand compositeur de musique de chambre, de mélodies et de musique chorale, choisissant avec beaucoup de goût ses textes. Employant un langage musical assez classique et jugé archaïque par certains, ses œuvres ont toujours su séduire le public et c’est le compositeur le plus populaire des Six.

Ida Rubinstein (1883-1960)

Personnalité importante de la vie artistique de la première moitié de ce siècle, Ida Rubinstein souffre d’un oubli immérité. Elle apparut d’abord sur scène grâce aux Ballets russes de Diaghilev, en mai 1909 dans Cléopâtre et y fait sensation, devenant, selon Boris Kochno, « le sujet du jour à Paris ». Elle triomphe ensuite dans Shéhérazade. Parallèlement, elle suit des leçons de Sarah Bernhardt et de Julia Bartet. En fait, danseuse assez médiocre, faute d’avoir entamé sa formation assez jeune, elle cherche plutôt sa voie vers une synthèse des genres où elle pourra s’épanouir non seulement comme interprète, mais aussi et surtout comme commanditaire.

En 1911, elle quitte les Ballets Russes, et d’Annunzio écrit pour elle Le Martyre de saint Sébastien dont Debussy, aidé par André Caplet, compose la musique. Dès lors, ayant fondé sa propre compagnie, grâce à sa fortune – ou plutôt celle de son amant, le célèbre brasseur Guinness – qu’elle gère de façon très libérale, elle ne cesse de commander des œuvres où elle apparaît comme danseuse, mime, ou actrice, plus d’une vingtaine au total, qui connaîtront des fortunes diverses. A partir de 1918, elle louera chaque année, pour quelques jours et à ses frais, l’Opéra de Paris, où elle présentera librement ses spectacles. Jusqu’en 1934, elle donne des pièces de théâtre ; on relève par exemple, en 1919, avec une musique de scène de Florent Schmitt, Antoine et Cléopâtre de Shakespeare dans la traduction de Gide, où Ida Rubinstein se réserve, bien sûr le rôle de la souveraine. Elle essaie aussi, vu ses faibles capacités vocales, de relancer la forme du mélodrame, où un récitant-acteur déclame son texte au milieu de musique orchestrale et vocale. Ainsi naît Perséphone, fruit d’une collaboration difficile entre Gide et Stravinsky.

Mais c’est dans le ballet que se trouvent ses plus beaux succès, non comme interprète – ses capacités étaient assez limitées -, mais comme mécène ; ainsi, elle a commandé et interprété Le Boléro de Ravel, Salomé de Florent Schmitt, et Le Baiser de la fée de Stravinsky. Pour les chorégraphies, elle fait aussi appel aux plus grands : Bronislava Nijinska, Leonide Massine, Mickaël Fokine.

De par sa formation, Ida Rubinstein accordait une grande importance au geste, et Claudel disait d’elle, en 1940, qu’elle était « la plus remarquable créatrice d’attitudes qui existe actuellement dans le monde » ; aussi soignait-elle particulièrement la plastique de ses spectacles, s’efforçant de constituer, aussi bien dans ses ballets qu’au théâtre, des tableaux harmonieux qui faisaient généralement l’admiration de la critique. Cependant, sa diction souffrait de son accent russe : il lui faudra de nombreuses années pour s’en débarrasser tout à fait. Ses conceptions dramatiques étaient fortement marquées par le modèle du théâtre grec ; après Wagner et les symbolistes, elle rêvait d’opérer une réconciliation des trois visages de l’art : la musique, la poésie et la danse, utilisant également avec une profusion et une richesse inouïes toutes les ressources du décor et des costumes, fréquemment confiés à Alexandre Benois auquel Diaghilev avait déjà fait appel.

Ce que Stravinsky était pour Diaghilev, Honegger le fut en quelque sorte pour elle. C’est ainsi qu’il composa les musiques de scène de L’Impératrice aux rochers de Saint-Georges de Bouhélier et de Phaedre de d’Annunzio, l’orchestration d’après Bach des Noces d’Amour et de Psyché, et surtout Amphion, Sémiramis et Jeanne d’Arc au bûcher.

Jacques Depaulis a consacré une biographie parue chez Champion en 1995, dans la collection Dimension.

Paul Sacher (1906-1999)

Personnalité musicale capitale de la Suisse, Paul Sacher a fondé le Basler Kammerorchester et le Basler Kammerchor, mais surtout a commandé de multiples œuvres, qu’il dirigeait ensuite et diffusait, à Honegger, Frank Martin, Bela Bartok, Bohuslav Martinu, Igor Stravinski, Paul Hindemith, Richard Strauss, ainsi qu’à des compositeurs comme Henri Dutilleux ou Hans-Werner Henze. On lui doit par exemple les chefs-d’œuvre que sont la Seconde Symphonie d’Honegger, la Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartok, le Double Concerto de Martinu, la Symphonie concertante de Frank Martin, etc. Ce fut, pour Honegger, un ami extrêmement précieux et un soutien important. En 1986, il a instauré à Bâle la Fondation Paul Sacher qui recueille de multiples manuscrits de Stravinski, Webern, Honegger, Boulez, etc.

Germaine Tailleferre (1892-1983)

La « Dame des Six » est une personnalité attachante du groupe. Elle eut une vie assez agitée qui gêna le déroulement de sa carrière professionnelle, mais les œuvres composées sont toujours intéressantes et témoignent d’un métier très sûr.

Paul Valéry (1871-1945)

Poète et critique français. Profondément marqué dans sa jeunesse par Mallarmé et le symbolisme français, il conçut le projet d’un Orphée avec Claude Debussy. Finalement, il faudra attendre 1929 pour voir le projet relancé grâce à Ida Rubinstein, cette fois-ci sur le personnage d’Amphion. On voit réapparaître dans cette œuvre la problématique de l’œuvre d’art totale, mêlant poésie, théâtre, musique, danse, mime sous la forme d’un grand spectacle quasi liturgique et néoclassique. Valéry sera déçu par le traitement « Ballet russe » qu’Ida Rubinstein fera subir à son œuvre, mais composera néanmoins encore pour elle Sémiramis, toujours avec Honegger, en 1933.

Andrée Vaurabourg (1894-1980)

Après des études au Conservatoire de Paris dont elle sortira avec un Premier prix de contrepoint, Andrée Vaurabourg s’illustrera comme pianiste et comme pédagogue. Elle épousera Honegger en 1926 et fut une épouse extrêmement dévouée pour son mari, acceptant les conditions qu’il avait posées : ils vivront dans deux appartements distincts ne se retrouvant qu’en fin de journée pour le dîner et pour sortir. Elle jouera fréquemment la musique de son mari lors de concerts et le Concertino pour piano fut composé pour elle. Professeur de contrepoint, elle eut notamment comme élève un certain Pierre Boulez